Interroger notre rapport avec les personnes accompagnées (de Claire Jouffray)

Publié le par actionscollectives33

Faire évoluer leur posture nécessite, pour les travailleurs sociaux, de changer leur regard sur les personnes accompagnées : ne plus le voir comme des problèmes mais comme des ressources.

  1. Interroger la notion de distance.

Cela passe par une réflexion sur la question de la distance. « On enseigne aux travailleurs sociaux l'art de la prise de distance, considérée comme indispensable à un travail social efficace et juste, et donc comme un fondement de la professionnalité. A contrario, la perte de distance, due à un excès d'empathie avec l'usager et ses difficultés, entrainerait le risque de la perte d'objectivité, de la manipulation (consciente ou non) par l'usager, et donc l'échec de l'intervention et la sortie de la dimension professionnelle du travail social1 ». On parle souvent d’une bonne distance à trouver. Pourquoi ne parle-t-on pas plutôt de bonne proximité ? «Ceux qui se préoccupent d'humaniser les rapports humains recherchent cette distance optimum un peu comme l'alchimiste recherche la pierre philosophale... ils semblent ne jamais la trouver et ils oscillent seulement entre le trop proche et le trop loin (c'est à dire entre le copinage et l'indifférence). Ils ne la trouvent pas car le problème de la distance et trop simple pour les esprits compliqués: La bonne distance c'est pas de distance du tout. Le zéro de la distance produit l'infini de la qualité. […].Il est par contre fondamental d'être distinct2 ». La notion de distinction nous semble ouvrir des pistes tout à fait intéressantes quant à la relation avec les personnes accompagnées.

  1. S’appuyer sur le concept de sollicitude

C’est le philosophe Paul Ricœur qui a travaillé sur le concept de sollicitude. Ce mot vient du latin sollicitare = déranger, remuer, bousculer. La sollicitude, c’est la capacité de se laisser remuer, de se laisser bousculer par ce qui arrive à un autre ; c’est le souci de l’altérité ; l’autre vient à moi dans son altérité (donc différent de moi). Se laisser pénétrer par ce qu’il y a d’autre, être touché par sa différence souffrante. « Elle n’est ni la pitié qui introduit une hiérarchie entre deux êtres ni tout à fait la compassion […]. Elle n’est pas non plus la bienveillance ou la bienfaisance, qui maintiennent une distance entre l’aidant et l’aidé. La sollicitude est réduction de la distance sans être toutefois en fusion3 ». Il s’agit d’accepter d’être travaillé par la souffrance d’un autre et d’y travailler quelque chose en soi. « La sollicitude renverse l’arithmétique habituelle : ce n’est plus le plus fort qui donne au plus faible, ce n’est pas le plus fragile qui reçoit du plus solide ; une réciprocité du donner et du recevoir s’installe4 ». L’autre nous donne le fait qu’on puisse être affecté.

  1. 3- Etre dans une posture d’alliance

Alors qu’auparavant on insistait fortement sur la triangulation usager / travailleur social / institution, le Conseil Supérieur du Travail Social est venu proposer un autre modèle basé sur le concept d’alliance (entre le travailleur social et l’usager) : « Nous définissons cette alliance comme un nécessaire accord entre les personnes, professionnels et usagers, permettant une cohérence entre la ou les demandes, exprimées ou implicites, des usagers et les possibilités de réponse des professionnels. Ceci en évitant complicité, connivence, fusion….. tout autant que domination, soumission, dépendance. La cohérence ne reste possible que si chacun joue son rôle dans un rapport d’échanges où les identités de l’un et de l’autre peuvent se reconnaître et constituer une complémentarité utile5. »

Face à la détresse croissante des publics et à l’inadaptation des outils classiques de prise en charge et d’accompagnement, ce concept d’alliance est probablement devenu pertinent. Il s’agit de s’allier avec les personnes contre les injustices, en leur donnant puissance sur leur existence, prise sur leur environnement. Sous le terme de « pratique d’alliance », on désigne la résistance à la banalité de ce qui fait mal, à l’injustice sociale. Il s’agit de créer, dans la relation avec les personnes, un espace entre deux bornes : celle de la domination (entraînant la dépendance) et celle de la complicité (entraînant connivence, voir fusion). Cet « entre » va ouvrir un espace de négociation. La relation qui s’y développe est située entre le conseil de l’expert et la sollicitude (voir plus haut) à l’égard de l’autre et se négocie en fonction de la situation.

 

2 Tournebise Thierry, Site : http://www.maieusthesie.com/nouveautes/article/empathie.htm. Consulté le 20/03/2013.

3 Queval Sylvie (2010), Quelle place pour le sujet ? L’accompagnement des personnes vers la conscience de leur devenir…, in La Revue Française de Service Social, n°241-242, p.82

4 Queval Sylvie, Ibid, p.83.

5 Conseil Supérieur du Travail Social (2007), L’usager au centre du travail social, p.24.

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